Il m’est quelquefois difficile de verbaliser mes sentiments, mon ressenti.
C’est beaucoup plus facile à l’écrit.
Alors voilà, je me lance !
Comme vous le savez, je suis inscrite cette année à l’Université des Patients, au diplôme universitaire « mission d’accompagnant du patient en parcours de cancérologie ». Deux jours de cours par mois et un gros travail personnel à la maison pour concocter un projet d’ingénierie sur l’implantation des patients dans le parcours de soins. De plus, en sous-groupes de 5 ou 6 étudiants, nous devons constituer une mallette qui nous servira plus tard quand nous endosserons le rôle de « patient partenaire ».
Mais, me direz-vous, quel rapport avec ton quotidien ? J’y viens.
Les collègues de mon groupe, Carole, Catherine, Sandrine et Virginie, se proposent de passer un week-end prolongé en Normandie pour travailler sur la soutenance, qui se tiendra mi-mai, de notre projet.
Et je me rends compte que je ne peux pas les accompagner. Et pourquoi ? Parce que mon quotidien est compliqué. Je m’y suis habituée, mais c’est compliqué ….
Tout d’abord, j’ai une iléostomie. Cela veut dire qu’une partie de mon intestin grêle, l’iléon, est amenée à la surface de mon abdomen pour former une stomie. Cela permet l’évacuation des selles et de laisser mon côlon au repos.
Et cela implique beaucoup de contraintes car cette stomie est proche de l’estomac et les selles s’évacuent très, très vite ! Repas-vidange en 15 minutes chrono ! Ce qui signifie qu’il ne vaut mieux pas s’éloigner des toilettes car une poche de stomie a une capacité d’environ 500 ml mais il est plus prudent de la vider quand elle est à moitié pleine, sinon on risque la fuite. Et la fuite de selles liquides, c’est pas cool !
Donc, vidange environ 20 fois par jour, pour moi en tout cas. Pour éviter de me lever la nuit, je me couche tard et je me lève tôt. Je vous entends déjà me poser la question « mais pourquoi tu n’utilises pas des poches d’une plus grande capacité ? ». J’aimerais bien vous y voir, vous trimbaler avec un kilo de caca pendouillant sur votre ventre. Parce qu’en plus, c’est pas pratique de s’habiller avec la poche. On peut la rentrer dans le pantalon, mais quand elle est pleine, ça gène. On peut la laisser à l’extérieur du pantalon, mais quand elle est pleine, ça ballotte. Et ça, ce n’est que le premier problème.
Parce qu’en plus, la poche, il faut la changer tous les jours. Et il est recommandé de la changer quand on a rien dans l’estomac. Sinon, bonjour les dégâts. Donc, tous les matins, vers 4h30 (oui, je sais, c’est tôt mais c’est l’heure limite avant l’explosion de la dite poche) je m’installe tranquillement dans la salle de bain et je procède à la toilette de ma stomie et à la pose d’une nouvelle poche. L’hygiène de la stomie est primordiale. Il vous faut penser que les selles qui proviennent de l’estomac sont d’une part liquides et d’autre part particulièrement corrosives. La peau autour de la stomie doit donc être parfaitement nettoyée et protégée avant de poser la nouvelle poche. Vous ne pouvez pas échapper à ce rituel, pas un seul jour de votre vie. Vous savez qu’il y a de grandes chances que ce soit définitif, que vous ne puissiez plus jamais laisser cette petite partie de votre ventre respirer à son aise.
Et puis selles liquides impliquent aussi déshydratation et dénutrition. Ben oui, le corps n’a pas le temps d’assimiler la nourriture, elle passe trop vite. L’avantage, c’est qu’on n’a pas besoin de faire de régime. L’inconvénient c’est qu’on maigrit rapidement, très rapidement, trop rapidement.
J’ai été sous alimentation parentérale (par perfusion) pendant 2 ans, pour reprendre les 17 kilos que j’avais perdus. Comme j’ai bien repris du poids, je suis maintenant uniquement sous hydratation. Quatre soirs par semaine (ou plus, si le besoin s’en fait sentir), mon infirmière passe à la maison et installe la perfusion de sérum physiologique agrémenté de quelques nutriments. Cela dure toute la nuit et, le lendemain matin, elle vient débrancher la perf et me laisse tranquille jusqu’au soir. Autant vous dire que, pour avoir une vie sociale, c’est un peu compliqué.
Et puis, cerise sur le gâteau, j’ai la chance d’avoir un cancer du sein métastatique ! Et oui, je les accumule. Ce charmant compagnon de route a la fâcheuse habitude de se balader dans mon corps. Après avoir squatté mon péritoine, le voilà qui a trouvé un nouveau nid douillet dans mes os, particulièrement mes humérus et mes têtes fémorales. Vilain garnement !
Me voilà donc avec un nouveau traitement, une thérapie ciblée et une hormonothérapie par injection (une piqûre dans chaque fesse toutes les quatre semaines, et ça pique!). Six chances sur dix pour que ça « stabilise » les métastases. J’ai bien compris que le but c’est pas de les faire disparaître, juste d’empêcher qu’elles se propagent. Chouette perspective !
Tout ça pour dire quoi, déjà ? Pour dire à mes collègues du D.U. Que je ne pourrai pas aller avec elles en Normandie. Que je le regrette sincèrement. Que je ne m’en sens pas la force ni le courage. Mais que je ne leur ferai pas faux bond. Que je ne les abandonne pas. Que je tiendrai mon rôle lors de la soutenance. Qu’il ne faut pas qu’elles m’en veuillent.
Sandrine, quand tu me téléphoneras cet après-midi pour mettre les choses au point pour la soutenance, j’espère que tu auras lu cet article et que tu auras compris et que nous pourrons travailler sereinement.
Allez tout le monde, je vous laisse !
Bonne journée et surtout portez-vous bien !